Texte posté en 2014, où j'entrevoyais encore un espoir de paix, ramené à néant à l'aube de 2024
Thomas Hobbes, dans le Léviathan (1651), distingue trois causes principales de conflit : la compétition, la défiance et la gloire. "La première, écrit Hobbes, pousse les hommes à attaquer pour le profit, la seconde pour la sécurité et la troisième pour la réputation".
Si l'on tient là les trois causes principales des guerres, il faut se demander comment on peut en sortir et atteindre la paix.
La condition préalable me semble être de parvenir à un "accord sur le désaccord", c'est-à-dire à combattre pour la même raison. Un conflit pour le profit, la sécurité ou la réputation se terminera, après l'affrontement, par un accord sur le point qui faisait l'objet du conflit. Après l'arrêt des hostilités, on peut discuter puisque qu'il y a déjà accord sur le désaccord. Hitler prétendait répondre à diverses menaces fantasmées contre sa sécurité (menacée par les Juifs). Après sa défaite, l'Allemagne fût mise hors d'état de menacer la sécurité du monde et s'est vue imposer un accord, ce qui a entraîné une paix durable.
Le conflit israélo-palestinien se caractérise par le fait qu'il n'y a pas d'accord sur le désaccord. La motivation du conflit est différente pour les Israéliens et pour les Palestiniens.
Israël se bat, depuis la première guerre de 1948, pour défendre sa sécurité contre des attaques arabes successives. Les Palestiniens se battent pour leur identité, leur honneur, leur "réputation" (au sens de Hobbes). C'est pourquoi la charte du Hamas, comme celle du Fatah (qui n'a jamais été modifiée), exigent la disparition de l'Etat d'Israël, dont l'existence constitue une atteinte à leur "dignité". C'est aussi pourquoi le mouvement palestinien a pris une orientation de plus en plus islamiste. Le Coran tolére les Juifs à condition qu'ils se soumettent au statut de dhimmis, mais certainement pas en tant que détenteurs d'un Etat autonome.
Sans accord sur le désaccord, aucune négociation n'est possible. D'où l'échec de toute les tentatives antérieures de négociation, même lorsqu'elle semblaient "quantitativement" sur le point d'aboutir. La deuxième intifada a débuté au moment où un accord rationnel semblait possible entre les positions israélienne et palestinienne, lors des sommets de Camp David II puis de Taba.
L'honneur, la "réputation" des Palestiniens n'avait pas été prise en compte. Ceux-ci se sentent investis de la dignité du monde musulman en affrontant directement "l'ennemi théologique". La paix, qui apparaît comme terme rationnel d'un conflit, serait vécue par les Palestiniens comme une atteinte à l'honneur de l'islam. Ce qui explique pourquoi ils cherchent à ce point la souffrance, plébiscitant et approuvant le Hamas, même lorsqu'il les mène au désastre. Même aujourd'hui, après la catastrophe de l'opération Bordure Protectrice, le Fatah refuse de prendre ses distances avec le mouvement terroriste.
Il semble donc que la seule issue du conflit soit, non la paix, mais une interminable "guerre froide", émaillée d'affrontements. Après tout même la guerre froide avec la Russie n'est pas terminée.
Un espoir de paix se dessine cependant. Dans la mesure où le Hamas belliqueux est aujourd'hui laché par la ligue arabe, l'Egypte et la plupart des Etats musulmans, en dehors de l'Iran, la Turquie et le Qatar (dont le rôle est ambigu), il est possible que les Palestiniens cessent de se sentir investis de l'honneur de l'islam tout entier, et puissent enfin s'intéresser à leur sécurité plus qu'à leur réputation. Alors la paix sera possible.
PS 1 : Pour ceux qui doutent de cette lecture, voici un extrait de la charte du Hamas: "Une préparation sans discontinuité s'est mise en place, de même qu'une volonté de sacrifier sa vie [ la sécurité ] et les biens les plus précieux [ le profit ] pour la gloire d'Allah."...
Ismail Radwan (Hamas), Al Jazeera 1/8/2014 PS 2 : "The trouble is that many Palestinians now despise Abbas, while looking with admiration upon Hamas, the shining symbol of Arab honor. In Arab culture, honor plays a far larger role than in Europe." (Uri Avnery, 2/8/14)
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