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Marc Reisinger

L’image d’Israël et le prix du pétrole

Un texte de 2006, qui est resté pertinent



Une nouvelle guerre israélo-arabe a éclaté, et il semble qu’Israël ait battu des records d’impopularité en Europe, où ses opérations militaires ont été jugées "disproportionnées", inutiles et sanguinaires par des dirigeants politiques et par de nombreux médias.

 

Il est pourtant établi que les hostilités n’ont pas débuté par une action israélienne, mais par un guet-apens organisé par le Hezbollah, en territoire israélien, entraînant la mort de huit soldats israéliens et l’enlèvement de deux autres (toujours détenus en otages). Les événements montrent aussi que leHezbollah a accumulé des milliers de missiles, dans le but évident d’attaquer un jour ou l’autre Israël, dont il souhaite la destruction.

 

Le statut même du Hezbollah est assez inquiétant, puisqu’il s’agit d’un parti politique possédant sa propre armée (équipée par la Syrie et l’Iran), plus puissante que l’armée libanaise officielle. Le caractère intégriste du "parti de Dieu" (traduction de"Hezbollah") et le fait qu’il pratique le salut nazi devraient également déranger. Enfin, rappelons que le président iranien a également exprimé le désir d’effacer Israël de la carte, en brandissant la menace nucléaire.

 

Face à tant d’éléments menaçants, comment se fait-il que la majorité des médias et de l’opinion publique européenne admire la "résistance" du Hezbollah et désigne Israël comme fauteur de guerre ? Si « tout le réel est rationnel », comme dit Hegel, il devrait être possible d’expliquer ce paradoxe. L’explication est peut-être même assez simple, pour autant que l’on prenne quelque distance historique.

 

Il faut rappeler que les guerres d’Israël n’ont pas toujours été impopulaires en Europe. La première guerre de 1948 où un Etat, né depuis 24 heures et habité par un peuple rescapé de l’Holocauste, réussit à construire une armée moderne en un temps record et à repousser l’attaque simultanée de tous les pays arabes environnants, suscita l’admiration universelle. La deuxième guerre de 1956 fut menée en accord avec les puissances européennes, puisque Israël était allié à la France et à la Grande-Bretagne contre l’Egypte, où Nasser venait de nationaliser le canal de Suez. Après la troisième guerre de 1967, les Israéliens furent les héros du monde occidental, pour avoir neutralisé en six jours une coalition de l’Egypte, la Jordanie et la Syrie, qui semblait décidée à étrangler leur pays.

 

Cependant, cette popularité fut de courte durée. Six mois après la fin de cette guerre, le général de Gaulle donnait le ton en parlant des juifs comme d’un "peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur". Ce renversement d’opinion n’est pas sans rapports avec un changement essentiel dans l’économie mondiale.

 

En 1960, les pays arabes avaient créé l’OPEP,organisation qui eut peu d’impact avant 1967, car la production était encore supérieure à la demande. Pendant la guerre des Six jours, un bref embargo entraîna une légère hausse du pétrole. Cependant, c’est seulement vers 1970 que, pour la première fois dans l’Histoire, la demande mondiale de pétrole devint largement supérieure à l’offre. La guerre du Kippour de 1973, déclenchée par une attaque surprise de l’Egypte et de la Syrie contre Israël, provoqua le premier choc pétrolier : une multiplication par quatre du prix du pétrole entraînant une récession mondiale.

 

Dès ce moment, Israël devint plus gênant pour l’Europe, fort dépendante des pays arabes au point de vue énergétique. Cependant, si la classe dirigeante devenait consciente des inconvénients de l’existence d’Israël, elle ne pouvait invoquer cyniquement la nécessité économique pour adopter une politique favorable aux pays arabes. Pour convertir l’opinion publique, a priori pacifiste et empathique à l’égard des Juifs, en raison des souffrances subies au cours de la Deuxième Guerre mondiale, il était nécessaire de modifier l’image d’Israël - comme de Gaulle l’avait anticipé.

 

C’est alors que débuta un véritable travail de désinformation, qu’il est impossible de décrire en détail ici, mais dont les résultats sont parfaitement observables en ce moment (1). Cette désinformation méthodique peut-être synthétisée en trois points.


Mécanismes de la désinformation

 

Tout d’abord, il fallait présenter Israël comme un pays colonisateur, afin de réveiller les sentiments de culpabilité et de révolte de la conscience européenne contre son propre passé colonial. C’est ainsi que les mots "colons" et "colonies" furent utilisés à satiété dans les articles et les communiqués de presse relatifs à Israël - y compris pour désigner des installations situées à l’intérieur des frontières initiales de l’Etat juif. Le corollaire était d’omettre systématiquement de rappeler les conditions de légitimité de la création de l’Etat d’Israël, suite à une décision de la majorité absolue des deux tiers du conseil général des NationsUnies en 1947. Quels que soient les sentiments éprouvés à l’égard d’Israël, sa légitimité ne peut être niée qu’en niant le droit international, comme n’hésitent d'ailleurs pas à le faire le Hamas ou le Hezbollah, qui se refusent à nommer l’Etat d’Israël et l’appellent "entité sioniste" (2). On oublie souvent également que la décision des Nations Unies de 1948 prévoyait la création d’un Etat arabe palestinien (plus étendu que l’Etat palestinien actuellement revendiqué), qui existerait depuis près de 60 ans si les pays arabes ne l’avaient refusé, préférant poursuivre le fantasme de l’éradication d’Israël.

 

Le deuxième axe de désinformation systématique à l’égard d’Israël consistait à faire croire que les anciennes victimes seraient devenues des bourreaux et à faire passer les Arabes palestiniens pour les seules victimes du conflit. La volonté d’Israël de faire souffrir et d’humilier les Arabes est un thème constant des médias européens. Assassinats volontaires d’enfants (qui rappellent l’ancienne accusation de meurtres rituels) et attaques systématiques contre des populations civiles sont à nouveau évoqués dans la guerre actuelle, où les miliciens du Hezbollah sont comptés au nombre des victimes civiles, puisqu’ils ne font pas partie de l’armée libanaise et ne portent pas d’uniforme.

 

Le troisième objectif de la désinformation consistait à faire passer le terrorisme pour légitime, au point que le mot "terroriste", appliqué à des actes visant Israël n’apparaît plus qu’entre guillemets. Même les attentats-suicide les plus barbares, visant des civils au hasard, passent, de nos jours, pour une forme d’expression politique respectable (contre "l’occupant" "cruel" défini par les deuxpremiers aspects de la désinformation). Cette tolérance à l’égard du terrorisme exercé contre Israël s’est accompagnée d’accords odieux entre des pays européens et des organisations terroristes.

 

Francesco Cossiga, ancien Président de la République italienne, révélait récemment que des terroristes palestiniens, arrêtés à Rome en 1973 – au moment où ils s’apprêtaient à abattre un avion d’El Al à l’aide de missiles - avaient été libérés, sur base d’un pacte établi entre les services secrets italiens et l’OLP d’Arafat (3).

 

De même, un terroriste palestinien, Abou Daoud, responsable de l’assassinat des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, fut arrêté à Paris en 1977 et immédiatement remis en liberté, bien qu’il ait fait l’objet d’un mandat d’arrêt international.


Israël source de tous les malheurs


L’objectif global de cette triple désinformation est de faire d’Israël le bouc émissaire par qui tout le mal arrive, afin de sceller l’alliance avec les pays arabes producteurs de pétrole.

 

Comme l'affirmait récemment l’ambassadeur d’Iran en France, si le président iranien réclame la disparition d’Israël, c’est parce que "si on regarde tous les événements survenus depuis la création de l’Etat d’Israël, on s’aperçoit que toutes les tensions régionales trouvent leursource dans la création de cet Etat" (4).

 

Si l’image et le sort d’Israël sont liés au cours du pétrole, faut-il s’attendre au pire pour ce pays, dans la mesure où la hausse du prix du baril est inéluctable ? L’existence d’Israël serait-elle une simple parenthèse de l’histoire, comme le souhaitent ouvertement certains dirigeants arabes, et plus discrètement certains occidentaux ?

 

Pas nécessairement, car l’énergie est un facteur complexe. Nous approchons du "pic pétrolier" - que certains situent vers 2015 - moment ou la production mondiale de pétrole diminuera, en raison de l’épuisement des ressources. Cet épuisement et la hausse des prix de l’énergie rendront possible et indispensable le développement de sources d’énergie alternatives (biocarburants, énergie solaire, éolienne, etc.). Le pétrole perdra sa place centrale dans l’économie mondiale et l’importance géostratégique des pays arabes décroîtra. 

 

A plus court terme, on peut espérer que la sixième guerre israélo-arabe permettra – avec l’appui d’une force armée internationale - de neutraliser les milices du Hezbollah, de calmer le bellicisme de l’Iran et de la Syrie et de garantir la paix, jusqu’au moment où les pays du Moyen-Orient se préoccuperont plus sérieusement de leur avenir économique que de l’élimination de leur ennemi mythique, Israël. (5)


Ainsi, la véritable "parenthèse" pourrait être la période oùcertains ont considéré l’existence d’Israël comme une parenthèse.  

 

Notes :

 

(1) Marc Reisinger, "Une haine coulée dans la masse médiatique", libre opinion parue dans Le Figaro, 13 mars 2002.


(2) "L’installation de l’entité sioniste dans la région est illégitime", NaïmQassem, secrétaire général adjoint du Hezbollah, Le Figaro, 10 août 2006.

(3) Libero, 14 juillet 2006.


(4) Le Monde, 5 août 2006


(5) Note du 10 janvier 2023 : les accords d'Abraham en cours et le discours d'Antony Blinken, secrétaire d'Etat américain hier confirment cette évolution, que le Hamas a vainement tenté de saboter.

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