Cet extrait des Cahiers Noirs sera souvent invoqué par les fans d'Heidegger, car contrairement à beaucoup d'autres, il peut donner l'impression qu'Heidegger dénonce l'antisémitisme. Rien n'est moins vrai : le malentendu provient d'un quiproquo dans la traduction :
Traduction biaisée:
« Prophétie » – telle est la technique pour se défendre de ce qu’il y a de destinal dans l’Histoire. Elle est un instrument de la volonté de puissance. Que les grands prophètes soient des Juifs est un fait dont le secret n’a pas encore été pensé.
(Remarque pour les ânes : la remarque n’a rien à voir avec de l’« antisémitisme ». Celui-ci est aussi insensé et abject que le procédé sanglant,et même avant tout non sanglant, qui fût celui du christianisme contre les « païens ». Que même le christianisme stigmatise comme « non chrétien » l’antisémitisme, cela même appartient au raffinement hautement élaboré de sa technique de puissance. ») (GA97, p. 97)
Heidegger dénonce ici les Prophètes (juifs de surcroît). En jargon heideggerien, "destinal" veut dire à peu près "destin" (c'est-à-dire la manière dont Heidegger l'envisage). La volonté de puissance est le volonté (juive) de dominer le monde. Le destin (selon Heidegger) est la suprématie du peuple allemand.
Le malentendu sur la dénonciation de l'antisémitisme provient d'un simple article. Il suffit d'enlever un "DE" superflu (et de traduire correctement "verwelflich" par condamnable) pour retrouver un sens cohérent avec l'antisémitisme métaphysique d'Heidegger :
"Remarque pour les ânes : la remarque n’a rien à voir avec l’«antisémitisme». Celui-ci est aussi insensé et [condamnable] que le procédé sanglant, et même avant tout non sanglant, qui fût celui du christianisme contre les «païens». Que même le christianisme stigmatise comme « non chrétien » l’antisémitisme, cela même appartient au raffinement hautement élaboré de sa technique de puissance.»
Autrement dit le christianisme (qui pour Heidegger n'est qu'un prolongement du judaïsme), n'a aucun droit à condamner la violence antisémite, puisqu'elle a pratiqué la même violence à l'égard des "païens".
Donc, "l'antisémitisme" (entre guillemets, notez le bien, signe de négationnisme) n'a rien d'insensé et de condamnable [verwelflich] de la part des chrétiens, c'est tout.
Quant à Heidegger, il se fiche pas mal de cette violence (un "détail de l'Histoire", comme dirait l'autre). Il a toujours vu l'extermination des Juifs comme une conséquence inévitable de leur essence. Pas besoin d'être "antisémite" puisque les Juifs se détruisent eux-mêmes. Autodestruction, dont les Allemands n'ont pas à se sentir coupables (c'est là que toute sa perversité apparaît).
Heidegger ne dénonce donc pas l'antisémitisme, il dénonce la dénonciation (illégitime) de l'antisémitisme. Lui, il s'en lave les mains.
C'est subtil, vicieux, tortueux, c'est Heidegger... Ses fans pourront repasser.
Comments